Responsabilité du dirigeant, période d'exercice et lien de causalité
Dans un arrêt du 5 septembre 2018, la chambre criminelle de la Cour de Cassation rappelle qu'un lien de causalité doit être précisément rapporté sur la période d’exercice des fonctions d’un dirigeant de droit pour pouvoir engager sa responsabilité pénale.
Les faits de l'espèce étaient les suivants:
Les salariés de l’entreprise AMISOL, société de manufacture d’amiante, et des personnes vivant à proximité de l’usine, déposaient plainte en 1997 pour avoir été exposés à des fibres d’amiante en raison d’un manquement à la réglementation relative à la sécurité du travail les faisant souffrir de diverses affections aujourd’hui. Une information judiciaire était ouverte des chefs, entre autres, d’empoisonnement, homicide et blessures involontaires. Parmi les mis en examen, l’un était le président-directeur général ayant exercé ses fonctions du 19 juin 1974 jusqu’au redressement judiciaire de la société le 6 décembre 1974. S’il en était gérant de droit sur cette courte période, son père, dirigeant jusqu’ici, en gardait la gestion de fait. Il interjetait appel de la décision et la chambre de l’instruction rendait un arrêt de non-lieu que la Cour de Cassation cassait.
Statuant sur renvoi l’année suivante, les juges du second degré s’inscrivaient en faux contre la Cour de Cassation et confirmaient la première décision d’appel selon laquelle il n’y avait lieu à poursuivre.
Se livrant à une appréciation in concreto des manquements allégués, ils énonçaient que non seulement « les faits n’étaient pas imputables au président-directeur général de la société durant l’exercice de ses fonctions » mais également « qu’il ne pouvait lui être reproché aucune faute puisqu’il n’était pas démontré que celui-ci avait les pouvoirs et les moyens de procéder aux diligences normales qui lui incombaient ès qualités ».
La Cour de cassation retenait pour sa part que les juges du fond auraient dû rechercher si le gérant de droit avait délégué les pouvoirs à son père, gérant de fait, et qu’à défaut, celui-ci était dans « l’obligation de s’assurer personnellement du respect constant de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité des travailleurs » et cassait de nouveau, en formation de section, la décision du second degré .
Cette position était connue, la chambre criminelle n’ayant jamais retenu que le fait, pour un gérant de fait, de participer à la gestion de l’entreprise était exonératoire de responsabilité pour un gérant de droit, un cumul de responsabilité entre eux étant retenu de longue date, la Cour de cassation considérant que « les gérants, de droit ou de fait, d’une même société peuvent être simultanément déclarés coupables d’homicide involontaire en cas de décès d’un salarié causé par un manquement à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, dès lors qu’en l’absence de délégation de pouvoirs, chacun des cogérants, de droit ou de fait, a le devoir d’assurer le respect de cette réglementation »
L’affaire revenait donc devant la cour d’appel de Versailles qui décidait une nouvelle fois, par un arrêt du 31 mars 2017, qu’il n’y avait pas lieu à poursuivre.
Selon la chambre de l’instruction, le dirigeant de droit n’avait ni créé ni contribué à créer la situation permettant la réalisation des dommages comme l’exige l’article 121-3, alinéa 4, du code pénal. La société existait bien avant son arrivée et l’atelier dans lequel se trouvaient les poussières d’amiante fonctionnait bien avant son arrivée également. En outre, la connaissance par celui-ci de risques considérables inhérents à la manipulation d’amiante par les employées n’était pas rapportée, cette preuve étant indispensable afin d’établir l’existence d’une faute caractérisée ou délibérée de sa part. Ignorant les résultats d’une expertise du 19 septembre 1974, dont seul son père, gérant de fait, avait connaissance, il ne lui était pas possible d’être en totale possession des informations nécessaires à la prise d’une décision adaptée aux circonstances.
De surcroît, par le dépôt de bilan entraînant la fermeture de l’usine, il permettait d’éviter que la réalisation du dommage ne perdure et de continuer à exposer les salariés aux poussières d’amiantes nocives.
Enfin, les parties civiles ne rapportaient pas non plus la preuve d’un lien de causalité entre l’exercice des fonctions du gérant de droit sur sa période fonctionnelle, c’est-à-dire entre juin et décembre 1974, et le développement ou l’aggravation de la maladie à l’origine de leur préjudice durant cette seule période.
Les éléments constitutifs des infractions de blessures et homicides involontaires n’étaient donc pas non plus réunis en l’espèce.
Dans cet arrêt du 5 septembre 2018, la chambre criminelle accueille le raisonnement des juges du fond et rejette le pourvoi des parties civiles en reprenant les motivations soutenues par la chambre de l'instruction.