Du patrimoine final en cas de régime de participation aux acquêts
Dans un arrêt du 7 novembre 2018, la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation rappelle que la somme figurant au solde créditeur du compte de l’époux exploitant à titre individuel un fonds de commerce doit être retenue pour la détermination de la consistance de son patrimoine final et son évaluation, peu importe qu’elle soit indisponible.
Les faits étaient les suivants:
Deux époux mariés sous le régime de participation aux acquêts avaient divorcé et des difficultés s’étaient élevées concernant le calcul de la créance de participation. La cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 24 mai 2017, avait estimé que le solde positif du compte d’exploitant de l’époux (543 062 €), qui exploitait un fonds de commerce d’officine de pharmacie, ne devait pas être comptabilisé dans son patrimoine final. Le motif de cette exclusion était que les sommes ayant été utilisées pour l’entreprise n’étaient plus disponibles et qu’elles ne pourraient être récupérées que par la vente du fonds. En conséquence, l’épouse devenait débitrice d’une créance de participation d’un montant de 518 817 €.
L'épouse se pourvoit en cassation.
Au visa des articles 1572, alinéa 1er et 1574 du code civil, la première chambre civile censure la décision d’appel. et rappelle ,dans un attendu de principe que font partie du patrimoine final tous les biens qui appartiennent à l’époux au jour où le régime matrimonial est dissout et que les biens existants sont estimés d’après leur état à l’époque de la dissolution du régime matrimonial et d’après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci. Elle indique ensuite, dans son attendu final, que la somme litigieuse appartenait à l’ex-mari qui exploitait le fonds de commerce à titre individuel : elle devait donc être retenue pour la détermination de la consistance de son patrimoine final et son évaluation.
Peu importe le caractère indisponible de la somme. Il suffit que celle-ci soit présente dans le patrimoine personnel de l’époux pour être comptabilisée dans le calcul de la créance de participation. C’est l’unité de patrimoine qui prime ici : l’exploitation du fonds se réalisant à titre individuel, et non par l’intermédiaire d’une société, le solde du compte d’exploitant fait partie du patrimoine de l’exploitant et le fonds, qui n’est juridiquement pas doté de la personnalité morale, ne peut faire écran. Cette prise en compte n’aboutit pas à compter deux fois la même valeur puisque ce solde positif ne fait pas partie du fonds de commerce (même s’il influe sur l’évaluation de celui-ci).
Les conséquences de cette solution sont importantes. Comptabiliser cette valeur dans le patrimoine final alors qu’elle ne figure pas au patrimoine originaire revient à la qualifier d’acquêt en valeur : elle représente donc un enrichissement pour l’époux. Dès lors, l’écart entre les enrichissements respectifs des parties se réduit et le montant de la créance de participation diminue. En effet, si l’épouse était tenue d’une dette de participation d’un montant de 518 817 €, cela signifie que l’écart d’enrichissement entre les parties était du double de cette somme, soit 1 037 634 €. Mais en prenant en compte le solde d’exploitation de 543 062 € de l’ex-mari, cet écart d’enrichissement se réduit et n’est plus alors que de 494 572 €. La créance de participation, qui correspond à la moitié de cette différence, se chiffre alors à 247 286 €. Ainsi, compter la somme litigieuse dans le patrimoine final de l’époux aboutit à réduire de plus de moitié le montant de la créance de participation.
L’arrêt est aussi l’occasion de rappeler les risques liés au choix du régime de participation aux acquêts lorsque le patrimoine de l’un ou l’autre des époux est composé en grande partie d’actifs professionnels. L’époux débiteur de la créance de participation sera souvent contraint de vendre des actifs professionnels pour honorer le paiement de la créance de participation : la liquidation du régime matrimonial menace donc la pérennité de l’activité professionnelle.